Environnement - Amiante à Chekka
Images de l'incendie au sein de l'usine d'amiante-ciment.
Photo D.R.
Eternit : un incendie ravive les craintes d'une catastrophe sanitaire
Un incendie s'est déclaré dans l'usine d'amiante-ciment désaffectée d'Eternit à Chekka, libérant des fibres d'amiante dangereuses dans l'air. Cet incident met en lumière les risques persistants pour la santé publique et l'environnement liés à la pollution de l'amiante.
Cela faisait depuis août 2018 que l’usine d’amiante-ciment de Chekka, « Eternit », n’a pas connu d’incendie. Samedi soir, un feu s'est déclaré dans l'enceinte de cette bombe à retardement, fermée depuis plusieurs années. Cet incident représente un danger de taille pour la population et la flore de la région. Les arbres et débris végétaux délaissés ont pris feu avant que les flammes ne touchent aux structures en amiante-ciment (tuyauteries et autres plaques) délaissées près de l’usine, dégageant un nuage de fumée noir chargé de fibres d’amiante. « Cette masse d’air chauffée augmentera le temps pour que les fibres d’amiante retombent sur le sol ce qui permettra aux fibres de voyager plus loin dans l’air, explique Charbel Afif, expert en pollution de l’air et chef du département de chimie à la faculté des sciences de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth lors d’une entrevue accordée à 961 Scientia. De plus, même après précipitation, les fibres d’amiante peuvent toujours s’envoler avec le vent et être emportées vers de nouveaux endroits. ».
Bien que l’incendie ait été maîtrisé, une source proche du dossier a affirmé à 961 Scientia que le départ du feu aurait été causé de façon volontaire et que les dégâts seraient limités. Le ministre de l’Environnement Nasser Yassine, ainsi que ceux de la Santé, Firas Abiad, et de la Justice, Henri Khoury, ont rédigé une lettre urgente afin mettre la question de cette usine sur l’ordre de jour du prochain Conseil des ministres.
Incendie d'Eternit vu du site de l'usine.
Photo D.R.
Un danger de taille
L'amiante est un matériau dangereux et cancérigène qui peut causer des maladies graves, voire mortelles. Les fibres minuscules et très fines qui composent l'amiante peuvent être inhalées dans les poumons, où elles peuvent causer des dommages au niveau cellulaire. Les macrophages, qui sont des cellules immunitaires dans les poumons, ne peuvent pas éliminer complètement ces fibres, ce qui peut conduire à des lésions et des inflammations.
Les fibres d'amiante peuvent également provoquer la production de radicaux libres (molécules instables), qui endommagent l'ADN des cellules et provoquent des mutations génétiques. Ces mutations peuvent conduire à une prolifération cellulaire incontrôlée et contribuer à la formation de tumeurs. L'amiante peut également affecter la régulation de l'expression génétique en modifiant les mécanismes épigénétiques (comment l’environnement influence l’expression des gènes). En perturbant la division cellulaire normale, il peut augmenter la croissance cellulaire et la formation de tumeurs.
Cependant, les effets de l'exposition à l'amiante ne se manifestent souvent pas avant de nombreuses années après l'exposition initiale. Cela rend le diagnostic et le traitement des maladies liées à l'amiante très difficiles. Les maladies liées à l'amiante peuvent inclure le cancer du poumon, le mésothéliome pleural (type de cancer causé par l’amiante) et le cancer du péritoine.
Il est donc essentiel de prendre des mesures pour prévenir l'exposition à l'amiante. Lorsqu'il est nécessaire de manipuler des matériaux contenant de l'amiante, il est important de suivre les protocoles de sécurité appropriés pour minimiser l'exposition. En outre, il faudrait que les bâtiments contenant de l'amiante soient régulièrement inspectés et que tout matériau contenant de l'amiante soit correctement étiqueté et éliminé de manière sécurisée. En prenant des mesures préventives pour limiter l'exposition à l'amiante, il est possible de réduire le risque de maladies et de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et des résidents.
Stock d'amiante-ciment en dégradation sur le site de l'usine Eternit.
Photo : Edward SFEIR
Plus de 80 ans de catastrophes…
Construite en 1938 et exploitée pendant plus de 50 ans par la société suisse Eternit, l’usine d’amiante-ciment de Chekka est une véritable catastrophe environnementale et sanitaire. Au cours de toutes ces années, l'usine a rejeté des quantités importantes de poussière d'amiante dans l'air et dans l'eau des environs, entraînant une pollution environnementale et une exposition potentiellement dangereuse pour les travailleurs et les résidents locaux. En 1978, une étude menée par le ministère de l'Environnement libanais a révélé que la concentration de poussière d'amiante dans l'air à proximité de l'usine était 20 fois supérieure à la limite maximale recommandée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Malgré cette découverte, l'usine a continué de fonctionner sans mesures adéquates pour protéger les travailleurs ou les communautés environnantes de l'exposition à l'amiante.
En conséquence, les travailleurs de l'usine ont été particulièrement exposés à de fortes concentrations de poussières d'amiante dans l'air, entraînant des taux élevés de maladies professionnelles et de mortalité. Les résidents locaux ont également été exposés à des niveaux élevés de poussière d'amiante, transportée par le vent. En 1991, après une longue lutte menée par les travailleurs, les syndicats et les groupes environnementaux qui réclamaient une action urgente pour protéger la santé publique, l'usine a finalement été fermée.
Depuis lors, des efforts ont été déployés pour évaluer l'étendue de la contamination de l'environnement et de la santé des travailleurs et des résidents locaux. En 2003, l'OMS a mené une étude de santé publique qui a révélé des taux de mortalité élevés dus à des maladies liées à l'amiante chez les travailleurs de l'usine et les résidents de la région. Cependant, la pollution persistante de l'amiante dans l'air et l'eau environnante a été une source de préoccupation pour les habitants de la région, les groupes environnementaux et les organisations de défense des droits de l'homme. Depuis, l’usine est restée sur place tel quelle avec des quantités dangereuses d’amiante en son sein et dans ses environs.
Site de l'usine Etrenit vu du ciel.
Photo D.R.
Une étude publiée en 2019, par des chercheurs de l’Université de Balamand a démontré que plusieurs habitations de Chekka utilisent toujours de l’amiante-ciment dans leurs construction (tuyauteries et toitures), ce qui présente un risque majeur pour les quartiers de la ville. « Les structures en amiante, comme toute construction en béton, sont sujettes à l’érosion. En s’érodant ces structures vont libérer des fibres d’amiante qui vont polluer l’air » poursuit l’expert.
En avril 2023, les ministres de la Justice, Henri Khoury, de la Santé publique, Firas Abiad, et de l'Environnement, Nasser Yassine, ainsi que le président de la commission parlementaire de l'environnement, Ghayath Yazbeck, se sont réunis en présence du président de l'Autorité de protection de l'environnement de Chekka, Pierre Abi Chahine, du professeur d'université George Khoury et du conseiller municipal de Chekka, Tony El-Beik, avec la participation des juges Elie El-Helou, Samar Jaber et Lea Khoury, pour discuter des risques environnementaux, de la pollution et des risques sanitaires.
Les ministres et les experts ont discuté des mesures à prendre pour assurer une décontamination complète de la zone de Chekka et prévenir les effets à long terme de l'amiante sur la santé publique et l'environnement. Ils ont discuté des avancées technologiques qui pourraient être utilisées pour nettoyer efficacement la zone et ont examiné les options de financement pour soutenir ces efforts.
Les ministres ont également reconnu la nécessité d'indemniser les travailleurs et les résidents locaux qui ont souffert des effets néfastes de l'exposition à l'amiante. Ils ont discuté de la possibilité de mettre en place un fonds d'indemnisation pour aider les victimes à obtenir une compensation équitable pour les dommages causés à leur santé et à leur qualité de vie. En outre, les ministres ont souligné l'importance de sensibiliser davantage le public aux dangers de l'amiante et de promouvoir des pratiques sûres pour son élimination. Ils ont appelé à une coopération internationale plus étroite pour lutter contre la pollution environnementale et les risques sanitaires associés. Dans l'ensemble, la réunion a été un pas important dans la direction de la décontamination et de la restauration de la zone de Chekka et de la compensation des victimes de l'exposition à l'amiante. Les ministres ont promis de travailler ensemble pour garantir que les normes de sécurité environnementale soient respectées et que les travailleurs et les résidents locaux soient protégés contre les dangers de l'amiante.